dimanche 23 décembre 2012


Athènes, décembre 2012 : des rencontres

Notre séjour à Athènes fut court mais nous avons eu l’occasion de faire une série de rencontres interpellantes et éclairantes pour comprendre ce qu’il se passe actuellement en Grèce. Nous avons donc eu l’occasion de rencontrer Moisis Litsis, ex-journaliste au journal indépendant Eleftherotypia et membre du bureau du syndicat des journalistes de la presse quotidienne ; Yiannis Bournous, responsable du département politique européenne de Syriza ; Kostas  Kallergis, journaliste et réalisateur notamment d’un documentaire sur les graffitis politiques à Athènes et d'un autre sur la longue grève des aciéries ; Ioannis Poupkos, responsable des jeunesses syndicales à la Confédération Générale du Travail de Grèce (GSEE) et George Koutsakas du syndicat des employés de la Banque nationale de Grèce ; Tassos Anastassidis, journaliste, syndicaliste et militant au sein de la coalition de gauche radicale Antarsya ; et enfin Panagiotis Grigoriou, historien-anthropologue et bloggeur.  

Tous nous ont fait part du même constat. La Grèce est en train d’être détruite par la Troïka et ses complices. La population est littéralement occupée à mourir. Mourir de faim car la faiblesse des salaires et les innombrables taxes ne permettent plus de se nourrir. Mourir de froid (oui, il fait froid l’hiver en Grèce !) car le fioul est hors de prix. Une nouvelle taxe a été instaurée sur l’électricité, condamnant la population à revenir au bois de chauffage, ce qui provoque des drames : récemment, 3 enfants sont morts dans l’incendie de la maison de leurs grands-parents suite à une mauvaise utilisation d’un poêle. Mourir de manque de soins, suite à la suppression de nombreux hôpitaux, l’absence de médicaments, l’exclusion d’une grande partie de la population de toute couverture sociale. La Grèce de ce début de 21ème siècle, c’est un désastre humanitaire au cœur de l’Union Européenne. Ou, pour reprendre les propos de Moisis Litsis, un pays en voie de tiers-mondisation.

 L’état-social qui existait en Grèce, même s’il n’était pas comparable à ce que nous connaissons en Belgique, a été méthodiquement détruit en deux (2 !) ans sous les coups de boutoirs de la Troïka et de ses complices au sein du gouvernement. Aujourd’hui, en Grèce, les citoyens se retrouvent dans les files de l’assistance publique, des bureaux de Médecins  du Monde ou de l’église !

Mais il ne faut pas pour autant croire qu’il y aurait d’un côté la « mauvaise Troïka » et de l’autre la « gentille Grèce », comme nous le rappelle Yiannis dans les locaux de Syriza. Il s’agit bien d’un combat entre la classe ouvrière grecque et sa bourgeoisie. Sur un an, les profits des grandes entreprises ont augmenté de 19%. C’est bien d’une guerre sociale qu’il s’agit, menée contre le monde du travail par la bourgeoisie grecque et la Troïka. Et comme dans toute guerre, il y des morts ! L’objectif est de faire de la Grèce une zone franche en Europe, d’y importer les conditions de travail que l’on connaît en Chine. Et pas qu’en  Grèce, mais également ailleurs en Europe. L’Espagne, le Portugal sont en train de vivre le même désastre. Avant le reste du continent, si nous restons sans réagir. C’est pourquoi tous nos interlocuteurs nous ont dit que le combat devait être mené au niveau européen. Que la « crise grecque » n’est pas le problème  des grecs, ou la « crise espagnole » le problème des espagnols, mais bien un problème européen. 

La propagande des gouvernements européens, docilement relayée par les médias mainstream, a dépeint la Grèce comme le Club Med de l’Europe et les travailleurs grecs comme d’indécrottables paresseux. Saviez-vous qu’en Grèce, actuellement, des milliers de travailleurs vont tous  les jours au turbin sans garantie de toucher un salaire ? Saviez-vous que selon les statistiques officielles d’Eurostat, la Grèce était en 2008 le pays européen qui comptait la durée hebdomadaire du travail effectif la plus importante en Europe (41h pour 36,7h en Belgique ou 35,9h en Allemagne) ? Le message de Kostas Kallergis, par exemple, était de ne pas être naïf face aux stéréotypes propagés par les médias et de tenter de se mettre dans la peau des grecs touchés par les mesures d’austérité. Regardez cette très courte vidéo (en  anglais) qui montre la fabrique de ces clichés



« Qui sème l’austérité récolte le fascisme » ! Tous nos interlocuteurs nous ont parlé de la montée du nazisme (oui, du nazisme) incarnée par Aube Dorée (Chryssi Avgi en v.o., Golden Dawn en  anglais). Cette vidéo réalisée par l’Initiative de solidarité avec la Grèce à Paris est éclairante et effrayante. 



Le  spectre d’une  nouvelle guerre civile a également été évoqué à de nombreuses reprises. En décembre 2012, la Grèce n’est pas redevenue une dictature mais une série d’éléments inquiétants sont bien présents : présence constante de la police, tolérance à l’égard des groupes extrémistes, libertés prises avec la constitution, … Kostas nous dit toujours pouvoir dire ce qu’il veut mais néanmoins réfléchir à ce qu’il dit, et à qui il le dit. Panagiotis nous explique que des lieux de mémoire sont effacés : sur Syntagma (la place de la constitution, devant le parlement), les marques de sympathie ou de souvenir devant l’arbre ou s’est suicidé en avril 2012 un pharmacien de 77 ans en laissant une lettre d’adieu visant directement le gouvernement ne sont plus autorisées.  Rue du Stade, la plaque commémorative en mémoire de Sotiris Pétroulas, étudiant blessé par une grenade lors d’une manifestation et finalement assassiné par la police sous le régime des colonels, vient d’être enlevée.

La situation de la Grèce aujourd’hui est réellement dramatique, et est en passe de s’étendre à toute l’Europe si le monde du travail et les forces de gauche ne prennent pas  conscience de l’enjeu et de la gravité de la situation. Quant au peuple grec, il continue  de lutter. A la GSEE, Ioaniis et George nous expliquent que la Grèce a connu 32 jours de grève générale depuis 2010. Sans compter toutes les grèves sectorielles ou dans les entreprises. Mais à quelques exceptions  près, comme la grève des aciéries documentée par Kostas Kallergis et qui a donné lieu à un important mouvement de solidarité locale, nationale et internationale, toutes ces grèves furent courtes. Pourquoi alors ne pas avoir concentré ces grèves multiples en une grève plus longue. La réponse des camarades de la GSEE est claire : parce que les travailleurs n’ont pas ni la force ni les ressources pour se lancer dans une longue grève. Les attaques de la Troïka, du gouvernement et des médias ; les longs mois de lutte ; la diminution des salaires ; les conditions d’existence à la limite de la survie ; tout cela ne permet plus de se lancer dans un mouvement d’ampleur. C’est pourquoi, la meilleure manière dont nous  pouvons exprimer notre solidarité avec la Grèce aujourd’hui, c’est de lutter contre les politiques d’austérité dans notre pays, ici et maintenant, avant qu’il ne soit trop tard !

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