Athènes,
décembre 2012 : des rencontres
Notre
séjour à Athènes fut court mais nous avons eu l’occasion de faire une série de
rencontres interpellantes et éclairantes pour comprendre ce qu’il se passe
actuellement en Grèce. Nous avons donc eu l’occasion de rencontrer Moisis
Litsis, ex-journaliste au journal indépendant Eleftherotypia et membre du bureau du syndicat des journalistes de
la presse quotidienne ; Yiannis Bournous, responsable du département politique
européenne de Syriza ; Kostas
Kallergis, journaliste et réalisateur notamment d’un documentaire sur
les graffitis politiques à Athènes et d'un autre sur la longue grève des aciéries ;
Ioannis Poupkos, responsable des jeunesses syndicales à la Confédération
Générale du Travail de Grèce (GSEE) et George Koutsakas du syndicat des
employés de la Banque nationale de Grèce ; Tassos Anastassidis,
journaliste, syndicaliste et militant au sein de la coalition de gauche
radicale Antarsya ; et enfin Panagiotis Grigoriou, historien-anthropologue
et bloggeur.
Tous nous
ont fait part du même constat. La Grèce est en train d’être détruite par la
Troïka et ses complices. La population est littéralement occupée à mourir.
Mourir de faim car la faiblesse des salaires et les innombrables taxes ne
permettent plus de se nourrir. Mourir de froid (oui, il fait froid l’hiver en
Grèce !) car le fioul est hors de prix. Une nouvelle taxe a été instaurée
sur l’électricité, condamnant la population à revenir au bois de chauffage, ce
qui provoque des drames : récemment, 3 enfants sont morts dans l’incendie
de la maison de leurs grands-parents suite à une mauvaise utilisation d’un
poêle. Mourir de manque de soins, suite à la suppression de nombreux hôpitaux,
l’absence de médicaments, l’exclusion d’une grande partie de la population de
toute couverture sociale. La Grèce de ce début de 21ème siècle, c’est
un désastre humanitaire au cœur de l’Union Européenne. Ou, pour reprendre les
propos de Moisis Litsis, un pays en voie de tiers-mondisation.
L’état-social qui
existait en Grèce, même s’il n’était pas comparable à ce que nous connaissons
en Belgique, a été méthodiquement détruit en deux (2 !) ans sous les coups
de boutoirs de la Troïka et de ses complices au sein du gouvernement. Aujourd’hui,
en Grèce, les citoyens se retrouvent dans les files de l’assistance publique,
des bureaux de Médecins du Monde ou de l’église !
Mais il ne
faut pas pour autant croire qu’il y aurait d’un côté la « mauvaise Troïka »
et de l’autre la « gentille Grèce », comme nous le rappelle Yiannis
dans les locaux de Syriza. Il s’agit bien d’un combat entre la classe ouvrière
grecque et sa bourgeoisie. Sur un an, les profits des grandes entreprises ont
augmenté de 19%. C’est bien d’une guerre sociale qu’il s’agit, menée contre le
monde du travail par la bourgeoisie grecque et la Troïka. Et comme dans toute
guerre, il y des morts ! L’objectif est de faire de la Grèce une zone
franche en Europe, d’y importer les conditions de travail que l’on connaît en
Chine. Et pas qu’en Grèce, mais
également ailleurs en Europe. L’Espagne, le Portugal sont en train de vivre le
même désastre. Avant le reste du continent, si nous restons sans réagir. C’est
pourquoi tous nos interlocuteurs nous ont dit que le combat devait être mené au
niveau européen. Que la « crise grecque » n’est pas le problème des grecs, ou la « crise espagnole »
le problème des espagnols, mais bien un problème européen.
La propagande des
gouvernements européens, docilement relayée par les médias mainstream, a dépeint la Grèce comme le Club Med de l’Europe et les
travailleurs grecs comme d’indécrottables paresseux. Saviez-vous qu’en Grèce,
actuellement, des milliers de travailleurs vont tous les jours au turbin sans garantie de toucher
un salaire ? Saviez-vous que selon les statistiques officielles d’Eurostat,
la Grèce était en 2008 le pays européen qui comptait la durée hebdomadaire du
travail effectif la plus importante en Europe (41h pour 36,7h en Belgique ou
35,9h en Allemagne) ? Le message de Kostas Kallergis, par exemple, était
de ne pas être naïf face aux stéréotypes propagés par les médias et de tenter
de se mettre dans la peau des grecs touchés par les mesures d’austérité. Regardez cette très courte vidéo (en anglais) qui montre la fabrique de ces clichés
« Qui
sème l’austérité récolte le fascisme » ! Tous nos interlocuteurs nous
ont parlé de la montée du nazisme (oui, du nazisme) incarnée par Aube Dorée
(Chryssi Avgi en v.o., Golden Dawn en
anglais). Cette vidéo réalisée par l’Initiative de solidarité avec la
Grèce à Paris est éclairante et effrayante.
Le
spectre d’une nouvelle guerre
civile a également été évoqué à de nombreuses reprises. En décembre 2012, la
Grèce n’est pas redevenue une dictature mais une série d’éléments inquiétants
sont bien présents : présence constante de la police, tolérance à l’égard
des groupes extrémistes, libertés prises avec la constitution, … Kostas nous
dit toujours pouvoir dire ce qu’il veut mais néanmoins réfléchir à ce qu’il
dit, et à qui il le dit. Panagiotis nous explique que des lieux de mémoire sont
effacés : sur Syntagma (la place de la constitution, devant le parlement),
les marques de sympathie ou de souvenir devant l’arbre ou s’est suicidé en
avril 2012 un pharmacien de 77 ans en laissant une lettre d’adieu visant directement
le gouvernement ne sont plus autorisées.
Rue du Stade, la plaque commémorative en mémoire de Sotiris Pétroulas,
étudiant blessé par une grenade lors d’une manifestation et finalement
assassiné par la police sous le régime des colonels, vient d’être enlevée.
La
situation de la Grèce aujourd’hui est réellement dramatique, et est en passe de
s’étendre à toute l’Europe si le monde du travail et les forces de gauche ne
prennent pas conscience de l’enjeu et de
la gravité de la situation. Quant au peuple grec, il continue de lutter. A la GSEE, Ioaniis et George nous
expliquent que la Grèce a connu 32 jours de grève générale depuis 2010. Sans
compter toutes les grèves sectorielles ou dans les entreprises. Mais à quelques
exceptions près, comme la grève des
aciéries documentée par Kostas Kallergis et qui a donné lieu à un important mouvement
de solidarité locale, nationale et internationale, toutes ces grèves furent
courtes. Pourquoi alors ne pas avoir concentré ces grèves multiples en une
grève plus longue. La réponse des camarades de la GSEE est claire : parce
que les travailleurs n’ont pas ni la force ni les ressources pour se lancer
dans une longue grève. Les attaques de la Troïka, du gouvernement et des médias ;
les longs mois de lutte ; la diminution des salaires ; les conditions
d’existence à la limite de la survie ; tout cela ne permet plus de se
lancer dans un mouvement d’ampleur. C’est pourquoi, la meilleure manière dont
nous pouvons exprimer notre solidarité
avec la Grèce aujourd’hui, c’est de lutter contre les politiques d’austérité dans
notre pays, ici et maintenant, avant qu’il ne soit trop tard !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire